La Procureure de la Cour pénale internationale (CPI) a annoncé ce jour l’ouverture d’une enquête par son bureau sur les crimes de sa compétence perpétrés en Centrafrique depuis 2012. Nos organisations, qui avaient appelé la CPI à ouvrir une telle enquête, se félicitent de cette annonce et engagent la Procureure à mener des enquêtes sur les responsables de tous les groupes armés impliqués dans la commission de crimes de guerre et crimes contre l’humanité et à agir en complémentarité avec la future Cour criminelle spéciale en Centrafrique.
La présidente de la transition, Mme Catherine Samba-Panza, et son gouvernement avaient créé en avril 2014 une Cellule spéciale d’enquête et d’instruction (CSEI), chargée d’enquêter sur les violations graves des droits humains et de poursuivre les responsables de ces crimes. Le 8 août 2014, les Nations unies et les autorités centrafricaines de transition avaient conclu un accord prévoyant la création d’une Cour criminelle spéciale (CCS) chargée d’enquêter et d’instruire les crimes commis en Centrafrique et d’identifier les responsables et dont ferait partie la CSEI.
« L’action de la CPI et l’action de la justice centrafricaine doivent être complémentaires. La CPI ne jugera que les plus hauts responsables tandis que la Cellule spéciale d’enquête et la future Cour criminelle spéciale seront chargées de juger tous les autres. Le niveau d’impunité qui est une des cause du conflit centrafricain nécessite une réponse à la hauteur des crimes commis. La CPI et la Cour criminelle spéciale ne seront pas de trop pour rendre justice aux milliers de victimes ignorées depuis trop longtemps » a déclaré Patrick Baudouin, coordinateur du Groupe d’action judiciaire (GAJ) et président d’honneur de la FIDH.
« Nous appelons la communauté internationale à poursuivre ses efforts et son engagement en Centrafrique et à faire de la lutte contre l’impunité l’une de ses priorités. L’action de la CPI est la bienvenue, la Cour criminelle spéciale est essentielle, et l’implication à long terme de la MINUSCA dans l’accompagnement des acteurs de la lutte contre l’impunité est importante » a ajouté Joseph Bindoumi, président de la LCDH à Bangui.
Contexte
L’ouverture de l’enquête de la CPI fait suite à l’ouverture par le Bureau de la Procureure de la CPI, le 7 février 2014, d’un examen préliminaire et le 30 mai 2014, d’une saisine officielle de la CPI par la présidente centrafricaine de la transition, Mme Catherine Samba Panza. Le 12 juin 2014, la FIDH, la LCDH et l’OCDH réitéraient leur appel à la Procureure de la CPI à ouvrir une enquête sur les crimes graves commis en RCA.
La CPI avait ouvert une précédente enquête en Centrafrique sur les crimes perpétrés en 2002-2003 et qui avait débouché sur l’arrestation et l’inculpation de Jean-Pierre Bemba, ancien vice-président de la RDC pour sa responsabilité présumé dans les exactions perpétrés par ses milices armées en Centrafrique. Le procès de Jean-Pierre Bemba est ouvert depuis le 22 novembre 2010 devant la CPI.
En septembre 2012, des groupes armés centrafricains unis au sein de la coalition Séléka, lançaient une offensive dans le nord du pays. Le 24 mars 2013, à l’issue de 4 mois d’intenses combats, la coalition Séléka menée par Michel Djotodia prenait la capitale Bangui et chassait du pouvoir François Bozizé, lui-même arrivé au pouvoir par un coup d’état en 2003. Au cours de l’été 2013, des groupes armés d’auto-défense pro-bozizé, les anti-balaka, ont attaqué de plus en plus régulièrement les Séléka et les populations musulmanes auxquelles ils sont assimilés. Le 5 décembre 2013, les anti-balaka menaient une attaque surprise coordonnée sur Bangui à la veille du déploiement des forces française de l’opération Sangaris autorisée par la résolution 2127 (lien : http://daccess-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N13/594/44/PDF/N1359444.pdf?OpenElement) du Conseil de sécurité des Nations unies pour venir en aide à la force africaine (MISCA) qui n’arrivait pas à faire stopper les massacres des populations civiles. Le 9 janvier 2014, sous la pression de la communauté internationale, Michel Djotodia quittait le pouvoir et les Séléka se retiraient du sud et de l’ouest du pays pour se regrouper au nord et à l’est. Les milices anti-balaka profitaient de ce retrait pour attaquer systématiquement les populations, essentiellement musulmanes, qu’elles accusent de complicité et de soutien envers les Séléka.
La Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en Centrafrique (MINUSCA) est entrée en fonction le 15 septembre 2014 à la suite des forces africaines de la MISCA. La MINUSCA doit garantir la sécurité, l’état de droit et la lutte contre l’impunité avec des effectifs déjà présents sur le terrain qui s’élèvent à 7 600 soldats. Ce déploiement des forces, qui correspond à 65 % du nombre prévu, doit se poursuivre jusqu’en avril 2015, date à laquelle la mission devrait atteindre la totalité des 10 000 militaires et 2 000 policiers autorisés par la résolution 2149 votée le 10 avril 2014 par le Conseil de sécurité des Nations unies.
Le conflit en Centrafrique a provoqué le déplacement de prêt de 1 million des 4 millions d’habitants de la Centrafrique et près de 500 000 personnes se sont réfugiées dans les pays voisins. En juillet 2014, la FIDH, la LCDH et l’OCDH avaient publié Centrafrique : « Ils doivent tous partir ou mourir », Crimes contre l’humanité en réponse aux crimes de guerre, un rapport d’enquête accablant qui met en lumière les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité perpétrés en Centrafrique depuis des mois par les anti-balaka et les Séléka et établit les responsabilités dans un conflit politico-religieux qui a coûté la vie à plus de 3 000 victimes depuis un an et demi. Malgré la poursuite des exactions et l’encerclement de plusieurs milliers de musulmans dans des enclaves par les milices anti-balaka, les forces africaines de la MISCA soutenues par les forces françaises ont contribué à faire basculer le conflit dans une phase de plus faible intensité et passent aujourd’hui le relais aux forces onusiennes.